vendredi 7 décembre 2012

Notre histoire 1922 - 1945, d'Hélie de Saint Marc et August von Kageneck



« Chaque page de ce livre est une feuille d'arbre déposée sur la tombe de nos camarades. Entendez-vous, comme moi, leurs voix dans vos rêves ? Mes frères de la nuit et de la lumière, faites-moi une place et donnez-moi l'accolade. »

Ainsi s'achève cette belle conversation entre deux soldats qui retracent ensemble, avec la pudeur et l'humanité de deux hommes bien nés et parfaitement éduqués, d'un tout autre temps, le moment tragique au cours duquel, s'ils s'étaient croisés, ils se seraient tués.

Pour qui n'a jamais lu ces deux soldats, c'est sans doute une belle introduction. On y retrouve les évènements qu'ils développeront dans leur oeuvre. Kageneck, lieutenant de panzer, Saint Marc, résistant malheureux, prisonnier de Buchenwald et plus tard légionnaire en rupture.

Ce qui trouble à cette lecture ?  Que deux hommes si proches, deux hommes qui, leur vie durant, ont puisé leurs forces à la même source chrétienne, puissent avoir été potentiellement ennemis ? Que deux nations si proches aient pu se détruire ? Car Hitler n'explique rien. Deux peuples qui étaient la tête et le cœur de l'Europe, pour reprendre Hugo : ils sortent des mêmes sources ; ils ont lutté ensemble contre les romains ; ils sont frères dans le passé, frères dans le présent, frères dans l'avenir.

Et nos deux admirables soldats de s'interroger encore sur cet avenir vécu, confrontant douloureusement la mémoire au miroir de la conscience :

« Mes souvenirs étaient des molosses qui m'attendaient au tournant : ils se sont jetés sur moi. », p.256.

Deux soldats partageant une même vision du mal peuvent-ils s'affronter ? L'un des deux au moins combat fatalement pour une mauvaise cause. Le feu de l'action éblouit et n'offre aucun recul. Et puis on voit tout de même un jour qu'il y a comme quelque chose qui n'ira pas.

« Mon ami Braun von Stumm avait été interrogé par l'un de ses aspirants : "Vous dites que vous êtes catholique pratiquant. Si le pape ordonnait à tous les catholiques allemands de désobéir à Hitler, que feriez-vous ?" Il a répondu : "J'obéirais au pape, dont l'autorité, pour moi, est supérieure à celle d'Hitler parce qu'elle est spirituelle." Le lendemain, il était arrêté. Il est mort dans un camp de concentration. », p. 221.

Cette conscience du soldat, cette conscience de l'homme, court tout du long de ce récit à deux voix. La guerre de 14 l'avait si fortement ébranlée qu'il ne pouvait y avoir de guerre à venir, ce devait être la dernière, au-delà il n'y aurait plus de conscience. Une autre guerre comme celle-là  et tout serait perdu, et l'honneur avec cette fois.

« À partir du moment où le soldat ne frôle plus la mort, qu'il la sème en appuyant sur un bouton, il perd son titre de soldat et devient un exécutant. Face à cette nouvelle conception, personne n'a encore posé la question : que devient la conscience du soldat ?», p. 275.


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Hélie de Saint Marc / August von Kageneck, Notre histoire 1922 - 1945, J'ai lu, 2004, 284 pages.

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