dimanche 20 octobre 2013

Un livre noir mis dans l'ombre



Le livre devait faire du bruit. C'est tout l'objectif d'un livre noir : provoquer, scandaliser, attaquer, dénoncer. En somme, faire parler, faire beaucoup parler.
Pourtant, les médias n'ont pas parlé de ce livre. De même qu'il n'existe que deux types d'hommes, celui qui tient le revolver et celui qui creuse, la caste médiatique française qui veut modeler de force notre pensée, ne peut colporter que deux types de livres : ceux qu'elle agréé et ceux qu'elle peut détruire. Celui-ci, Le livre noir de la gauche, de Jean Robin, elle n'en parlera jamais car elle ne peut pas l'attaquer.

Cet ouvrage est un florilège de citations, d'extraits de journaux, de programmes politiques. Pour chaque citation la source est renseignée. L'auteur s'abstient de tout commentaire et tout juste s'autorise-t-il une introduction de trois pages pour expliquer sa méthode de sélection, et une conclusion maligne dans laquelle il s'exprime sur... la droite.
Que peut faire la gauche face à un ouvrage comme celui-là ? Rien. Elle ne fait rien. Elle ne dit rien. Et c'est ce qui pouvait arriver de pire à ce livre. La gauche n'en parle pas. Quant à la droite, elle confirme, s'il était encore besoin, qu'elle est aussi de gauche, puisqu'elle n'en parle pas non plus. Personne ou presque n'en aura donc parlé¹.
En fait, ce livre n'existe pas.
C'est dommage parce qu'on y trouve beaucoup de choses édifiantes et instructives. Celle-ci par exemple :

« Pourquoi sommes-nous socialistes ?
Par Joseph Goebbels

Le socialisme est la doctrine de la libération pour la classe ouvrière. Il favorise la montée de la quatrième classe et son incorporation dans l'organisme politique de notre patrie, et il est inextricablement lié à la rupture de l'esclavage présent, recouvrant la liberté allemande. Le socialisme, par conséquent, n'est pas simplement une question relative à la classe opprimée, mais celle de tous, pour libérer le peuple allemand de l'esclavage et est l'objectif de la présente politique. Le socialisme atteint sa véritable forme qu'au travers d'une fraternité de combat total avec les énergies d'avant-garde d'un nationalisme nouvellement réveillé. Sans le nationalisme il n'est rien, seulement un fantôme, rien qu'une théorie, un château dans le ciel, un livre. Avec lui, il est tout, l'avenir, la liberté, la patrie ! », p. 40.

Pour une future réédition nous proposons un autre titre à Jean Robin : « Le livre blanc de la gauche ». La gauche ayant manifestement pour vocation de torpiller tout ce qui maintient debout notre monde, ce livre n'est en somme que le catalogue de l'arsenal employé pour y parvenir. Avec une robe claire, même maintenu dans l'ombre, il devrait rester visible.

1. Si ce n'est Radio Courtoisie, belle exception qui confirme la funeste règle. Mais quelle est la portée de cette radio ?
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Le livre noir de la gauche, Jean Robin, Tatamis, 2012, 339 pages.

mardi 15 octobre 2013

Des immortels à l'agonie


« Il n'y a plus de place pour le glorieux ou le terrible. », p. 130.

De quoi la nuit est-elle porteuse ? La nuit, de nos jours (si on peut dire), fait-elle encore un pont entre les temps ? La nuit, la ténèbre qui offrait d'accéder aux passés oubliés, aux ères du feu et du bronze, à l'écoulement des lueurs de la lune le long des parois de pierre, les forteresses, les manoirs & les tombes. La nuit naturellement propice aux rêves et donc génératrice des mythes, plus simplement des histoires, de ces histoires récitées à la seule lueur d'un foyer ou d'une lampe chaude, rappelant des passés où toujours l'improbable est avéré et l'impossible accepté. Les nuits sont hors du temps, nous confie Bradbury par la bouche froide de ses créatures, car le temps est l'esprit de la lumière.

La nuit offrait de se souvenir et de prolonger les croyances. La nuit élevait les êtres à la perception de l'infini, à l'acceptation du mystère. La nuit, l'espace entre les astres, l'espace sans fin qui faisait qu'un enfant, dans le creux tiède de son lit, frissonnait à l'idée d'y penser, convaincu en son for intérieur que l'infini n'est pas à la portée de son esprit, que de trop vouloir se le représenter serait comme d'y être aspiré, de disparaître, de devenir fou. La vie, l'univers et le reste. Ce reste infiniment plus vaste que les deux premières inconnues.

Puis vint le temps des catastrophes. Le temps des lumières. La fin de la nuit et donc du passé, de tous les passés.

« Nous sommes à l'ère des découvertes et des révélations. Les images qui volent à travers les airs. Les sons qui suivent le vent. Des choses vues de beaucoup. Des choses entendues de tous. Des voyageurs sur les routes, par dizaine de millions. Aucune issue. », p. 187.

Nous sommes entrés dans l'ère du jour éternel et du présent pour toujours. Les mythes, tels des vampires bernés, se sont enflammés au contact de cette lumière nouvelle, pour ne laisser que des cendres. Il n'y a plus d'histoires à transmettre, plus de cette tradition orale qui forgeait les esprits et donnait à penser comme à croire. Ces souvenirs stylisés, qu'étaient-ils sinon l'amour pour l'autre ? L'amour véritable de l'homme du présent pour celui qu'il fut ou qu'il aurait pu être. Tous les peut-être qui font un homme. Tous les il était une fois qui ont emprunté un soir le chemin nocturne d'un conte étrange et merveilleux.

Débutés en nouvelles en 1946 et complétés, rassemblés puis achevés en 2000, ces souvenirs d'une famille d'immortels prirent donc un demi siècle à Bradbury pour trouver cette dernière forme. Un recueil-cercueil. Avec Charles Adams, ils se sont influencés et guidés mutuellement sans jamais parvenir, comme ils l'auraient souhaité, à composer à quatre mains cette famille. Chacun a fondé la sienne. Cinquante ans pour ces êtres baignés dans une nuit sans mesure n'auraient dû durer qu'une minute ; mais tout au long de ces cinquante ans la lumière est devenue chaque année de plus en plus forte. La nuit perdait du terrain et toujours les créatures devaient céder, reculer, s'enfouir davantage. Jusqu'à l'oubli.

« Jetés à la rue, nous autres, les terribles vagabonds de ce monde, nous nous sommes enlisés dans le goudron, les tourbières et les champs de l'incrédulité, du doute, du mépris ou de la franche dérision. », p. 107.

Mais de l'oubli, encore, on peut être tiré ; le hasard offre parfois de retrouver ce qui était perdu et de l'appeler à renaître. Tandis que ce jour perpétuel dans lequel nous sommes entrés ne veut plus de secrets. Tout est là, tout est donné, tout est à voir ; donc tout est vu. Il n'a plus de place pour le mystère ni plus de place pour quelque différence. Le jour fait briller l'indifférence. Et l'indifférence est bien plus redoutable que l'oubli.

« Aucune raison n'est nécessaire. C'est simplement la révélation du moment, les frayeurs et les excursions absurdes de la semaine, la panique d'une nuit ; nul n'avait rien demandé, mais on livre la mort et la destruction, tandis que les enfants sont assis, leurs parents derrière eux figés par un sortilège arctique de ragots superflus et de médisances inutiles. », p. 188.

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De la poussière à la chair, Ray Bradbury, Folio, 2006, 224 pages.
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