dimanche 28 juillet 2013

Odyssée, d'Homère



Que dire de cette oeuvre, dont tant fut déjà dit ?
Et quel autre récit portons-nous en pensées,
Sans avoir lu le livre tant il nous est légué
Par la culture, la langue et aussi le pays ?

Du grec ne sachant rien et bien peu érudit,
De la forme comme du fond, il faut raison garder,
Aussi du traducteur on ne peut décider
La meilleure traduction sans faire de parti pris.

Celle de Jacottet qu'on prétend la plus belle,
Ou Leconte de Lisle qui passe pour plus fidèle ;
Et tant d'autres encor qui ne valent pas moins.

Mais c'est celle de Bérard qui a tout mon suffrage,
Lui qui pour son Ulysse refit un même voyage,
Et parce qu'elle m'enivre de ses alexandrins.

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Odyssée, Homère, traduction de Victor Bérard, Folio, 2009, 597 pages.

vendredi 12 juillet 2013

Le Temps du Mal - tome 1, de Dobritsa Tchossitch




« Mais durant les longues nuits brumeuses, trempées, glaciales, pleines du délire des mourants et du cri des oiseaux des marais, je ne suis pas parvenu à avoir foi en Dieu, bien que je m'y sois efforcé de tout cœur. Pascal a raison : la foi est un pouvoir du cœur et ce pouvoir n'existait pas en moi. J'enviais les croyants. Je contemplais ces esclaves dans leurs prières pleines de repentir, et de nous tous, ils étaient ceux qui ressemblaient le plus à des hommes, ils étaient, plus que les autres, préoccupés par l'esprit. », p. 33.

Des trois portraits de communistes que développe Tchossitch, le premier, Ivan Katić, l'intellectuel, est le plus susceptible de pouvoir s'échapper du piège mental qu'est le communisme :

« Les bolcheviks ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas comprendre que l'homme est un être frêle et incertain, qui accomplit une oeuvre incertaine dans un monde incertain. Les seuls qui lui veuillent du bien, sont ceux qui respectent sa faiblesse. Et qui lui accordent la liberté de cette faiblesse. », p. 186.
« La plus grande peur du vrai croyant vient de lui-même. Je m'en persuadais en voyant combien dramatique et bouleversante était leur lutte pour la pureté de leur foi, tandis que le fossé qui les séparait de la réalité et de la raison ne faisaient que se creuser. », p. 244.

Ivan est un pestiféré, qualifié de trotskyste, de déviant donc, par ses anciens camarades, à commencer par son beau-frère Bogdan Dragović, second portrait, celui du pur, de l'apparatchik qui en vingt ans d'actions révolutionnaires n'a jamais dévié de la ligne bolchevique, et peut-être est-ce un problème, car le seul modèle viable ne peut être que le camarade Staline. Petar Bajević, le troisième, est un espion, un soldat, un homme d'action ; un homme en marge cheminant nécessairement au bord du précipice. Un homme qui parfois se hasarde dans le vide :

« S'il attendait quelque chose du Parti et de la Troisième Internationale, de la Révolution, de l'union soviétique et de ses camarades, ce n'étaient pas des récompenses, des médailles, des félicitations pour le travail et les exploits qu'il avait accomplis durant ses années de service, ni de l'avancement dans la hiérarchie du Secteur ou de la Section balkanique du Komintern, mais que l'on rendît simplement justice à sa foi, cette foi pour laquelle il avait tué, non seulement ses adversaires, mais aussi ceux qui commençaient à douter. [...] Seulement voilà : il n'admettait pas l'injustice dirigée contre lui. Il savait pourtant qu'il n'y a pas de justice individuelle dans les objectifs révolutionnaires ; car si elle existait, il y aurait aussi une vérité individuelle. », p. 103.

Trois figures du communisme, trois hommes qui doutent. Car ce que semble vouloir montrer Tchossitch, c'est qu'aucun communiste n'ignore que ce en quoi il croit, ce à quoi il voue sa vie et dissout son âme, cette chose, le communisme, est une erreur. Trois manières différentes de montrer qu'il ne suffit pas de se savoir dans l'erreur pour pouvoir s'en extraire.

« Ainsi donc, tous les révolutionnaires du collectif se donnaient vraiment du mal pour se prouver les uns aux autres que ce qu'ils aimaient le moins au monde, c'était eux-mêmes ; qu'ils aimaient leurs idées, leurs visées et leurs camarades, beaucoup plus qu'eux-mêmes. Or il n'est pas de vertu plus dangereuse. J'en ai conclu que c'est précisément ce manque d'amour pour lui-même qui donne au révolutionnaire le droit psychologique et moral de détruire n'importe quel adversaire. Ce n'est qu'au moment où le révolutionnaire, par sa conscience et sa volonté, parvient à ne pas s'aimer plus que son idéal et ses camarades, si cela est seulement possible, qu'il est capable de déclarer ennemis tous ceux qui ne pensent pas comme lui. C'est alors aussi qu'il est prêt à mentir, sans considérer ce mensonge comme une faute morale. », p. 269-270.

Ils le savent tous par le simple constat qu'ils sont malheureux, ou du moins qu'il ne sont pas heureux. La réponse du communisme est qu'ils n'ont pas à l'être. Mais peut-on avouer que l'on s'est trompé après des années, parfois des dizaines d'années, de convictions forcenées ? Il y a cet orgueil. Il y a cette peur du vide. Avoir cru à quelque chose qui occupait tout son esprit, chaque atome de chair, et pouvoir dire stop, pouvoir dire j'avais tort, pouvoir dire quoi d'autre d'ailleurs ? Que mettre à la place ? Bogdan, dénoncé, destitué, trotskysé, et prochainement condamné, soit au goulag, soit à la mort, ne sait pas :

« Mon fils, je n'ai pas de nation, et je n'en ai jamais eu. Je n'ai que ma classe. Ma nation, c'est le prolétariat. Ma famille, c'est le Parti communiste. Ma patrie, c'est la Russie soviétique, et pour l'abolition de l'ordre bourgeois et l'édification du communisme, je considérais et considère toujours que tous les moyens sont permis. », p. 544.

Petar, lui, semble avoir trouvé l'équilibre lui permettant d'y croire tout en sachant que c'est faux, et tout en gardant sa tête. Il a compris que pour rester droit dans la ligne sinueuse du parti, il faut ajouter à sa conduite un juste dosage d'imperfection, afin de ne pas attirer la suspicion sur soi, car l'excellence est un vice humain ; et l'humain est une conception dépassée. Il faut se fabriquer des fautes pour avoir de quoi se confesser. Il faut se salir pour être ensuite purifié par le Komintern. Il faut abandonner au parti son libre arbitre :

« Les victimes innocentes, si d'aventure il y en a, n'embarrassent pas ma conscience. La discipline dans l'exécution des directives du Parti me libère des cauchemars de ce genre. Dire ce qui est moral ou immoral, juste ou injuste, cela relève entièrement de la responsabilité du Parti, du Comité Central et du secrétaire du Parti en dernier lieu. », p.550.

De tous ces hommes perdus, ces millions d'hommes, il restera Ivan, en qui quelques espoirs de renaissance se font jour :

« J'abandonne mes réticences aux thèses chrétiennes sur la liberté. Je sens s'établir en moi la conscience du tragique et de l'absurde de la liberté. Là où est née la conscience de la liberté de l'individu et de la nation, se développe et triomphe à présent l'idée de l'esclavage moderne. Le fascisme et le nazisme ne pouvaient naître que dans un monde libre ; la tyrannie stalinienne, que dans la révolution ; ce n'est que de la démocratie que pouvait éclore l'hitlérisme ; et ce n'est que dans la liberté que la liberté pouvait être piétinée de la manière dont elle l'a été en Europe. », p. 683.

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Le Temps du Mal I : le pécheur / l'hérétique, Dobritsa Tchossitch, L'âge d'homme, 1990, 695 pages.

Breakout, de Richard Stark


Westlake a débuté la série Parker en 1962 sous le nom de Richard Stark. Il écrira seize épisodes jusqu'en 1974 et puis il fera une pause de vingt-trois ans pour reprendre la série en 1998, et y ajouter huit volumes.

Parker est immortel ; depuis 1962, il a une quarantaine d'années. Mais ne pas vieillir n'est pas une raison pour perdre son temps en prison. Tout le récit, comme l'indique le titre, n'est qu'une recherche d'issues, d'échappatoires, de trous de souris. Parker est sur un tapis qui l'entraîne là où il n'a rien à faire et pas envie d'aller. Il doit se fier à des gens qu'il n'a pas le temps d'évaluer, il doit faire face à une succession d'imprévus et de barrages qu'il doit surmonter et lever.
La vie de taupe du gangster est proche de celle du mammifère, les tunnels peuvent s'effondrer, des miroirs se mettre en travers du chemin, le danger, comme un chat patient, attendre à la sortie.

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Breakout, Richard Stark, Rivages, 2011, 286 pages

jeudi 11 juillet 2013

Firebreak, de Richard Stark




« Quand le téléphone sonna, Parker était dans le garage, il tuait un homme. », p. 11.

De ces premières phrases de roman qui font tout un roman, qui font qu'on ne le lâchera plus jusqu'à la fin et que le temps qui s'écoulera entre cette première phrase et la dernière ne pourra être que bref. Sauf imprévu. Cet imprévu justement, est le cœur battant du roman noir. Certes, on pourrait en dire autant de tout roman puisqu'il s'agit de conter une histoire que l'on fera évoluer pour la rendre intéressante. Mais dans un polar, il y a d'abord un plan, un projet, un crime à réaliser. Et puis il y a les grains de sable.

Quand le téléphone sonna, Parker était dans le garage... Voilà qui commence très modestement. Il y a un téléphone et un garage, nous sommes au XXème ou au XXIème siècle. Une quelconque histoire pavillonnaire commence. Le voisin avec sa casquette va venir emprunter la tondeuse dudit Parker. Il y aura un exposé d'états d'âme. Ceci, cela.
...il tuait un homme. Non, c'est autre chose. Parker n'est pas monsieur tout le monde. Quand le téléphone sonne, il n'abandonne pas ce qu'il fait pour s'en aller répondre. En même temps ce n'est pas comme s'il était en train de bricoler la tondeuse. Il tue un homme. Ce n'est pas une tâche que l'on peut interrompre, un meurtre, il faut aller au bout, sinon ce n'est pas un meurtre.

Toute l'habileté de l'auteur de polar est de savoir inoculer l'imprévu de manière naturelle, simple, voire invisible. Et dans cette première phrase d'accroche, quel est l'imprévu ? le téléphone qui sonne ? l'homme que Parker tue ?

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Firebreak, Richard Stark, Rivages, 2008, 318 pages.

Backflash, de Richard Stark


Parker poursuit son cheminement à la fois méticuleux et hasardeux dans les soubassements de notre monde. Avoir un compte en banque anonyme, payer en liquide, donner des faux noms, trouver une arme, revendre un butin, emprunter une voiture, changer de voiture, changer encore de voiture, trouver une autre planque ou un nouvel associé, se débarrasser d'un corps, changer de voiture, encore, toujours. Parker ne peut pas faire du sur place, s'il s'arrête, c'est la prison ou c'est la mort. Il n'évolue pas dans le monde visible, le monde conventionnel, le monde des règles à respecter en échange de places à prendre et de situations à bâtir. Il est underground, en des lieux où la mobilité permanente est gage de survie. Il observe et surveille ses arrières, il croise les regards et décode ce qui se trame derrière. Ami ou ennemi ? Mais Parker n'a pas d'ami, comme il n'a pas d'ennemi. Si un type le balance, c'est que pour cet homme c'était la solution la moins dangereuse ou la plus simple, ou la moins onéreuse, bref, l'homme aura fait au mieux. Parker comprend ça ; il ne tiendra pas rigueur, il aurait fait pareil. Ce qui fascine peut-être le plus chez ce personnage, c'est que quoi qu'il décide de faire : cambrioler une banque, semer la police ou exécuter un témoin, il le fera toujours avec bon sens. Il fait le mal, mais il le fait bien.

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Backflash, Richard Stark, Rivages, 2003, 307 pages.

Souvenirs littéraires, de Léon Daudet




Ces souvenirs peuvent être partagés en deux parties : la première dans laquelle Léon Daudet enfant, puis jeune homme, observe le monde de son père, les salons et les maisons, les figures littéraires et médicales du temps. Il observe, il commente, il juge et fait montre d'une perspicacité remarquable, s'agace devant les médiocres ou s'émeut de la grandeur humaine. La seconde est celle de Daudet l'homme de son temps, les affaires, le drame du fils suicidé par un tiers, le député, l’aboyeur, et puis l'exil, la Belgique, l'Angleterre.

Quel qu'il soit, Daudet nous apparaît toujours plus fin, plus sensible, plus intelligent que ses sujets et cela vient sans doute de son cœur gigantesque et de son appétit grand comme ça. Les portraits qu'il dessine en quelques phrases sont terribles ou merveilleux, à tel point que même l'individu le plus minable y trouve son compte, son exception.
Son père connaissait tout le monde, avait ses entrées partout et surtout était aimé de tous. Il a offert à son fils de quoi développer et nourrir une étonnante sagacité. Hugo, Maupassant, Proust, l'explorateur Stanley, Schwob, Wilde, Courteline, Renard, Debussy et tant d'autres.
Les plus beaux sont peut-être les figures de médecins que Daudet a eu tout le loisir d'étudier pendant sa médecine. Charcot était terrible et génial, on en ferait une série télé que ça s'appellerait Dr House, les frivolités en moins. Et deux portraits magnifiques, les plus beaux du recueil : le Dr Potain, si beau, si bon qu'on le devrait béatifier, et le Dr Vivier, si joyeux, vivant et résolu, qu'il devait être un baume par sa seule proximité. Ces hommes-là ne devraient pas mourir tant ils transcendent l'humain. A la différence de Charcot, ce n'est pas le mal qui les intéresse, c'est le porteur du mal. Ils ne veulent pas comprendre, ils veulent sauver. La compréhension n'est qu'un épiphénomène.

Loin des sornettes qu'il a pu écrire sur Quo vadis ? ce recueil est une mine d'intelligence et d'honnêteté, la marque d'un homme qui n'aura jamais cessé de s'émerveiller ou de s'horripiler de l'homme, sans jamais désespérer. Un bon vivant.

« Il est des jours où j'envie le sort du gardien de phare qui vit, avec les siens, entre sa machine éclairante et tournante et la mer. Peste soit de la République qui force les royalistes, les amis de la tranquillité et de la prospérité française, à la combattre par la plume et par la parole ! Mais quand vous aimez votre pays, vos compatriotes, la raison, et quand vous voyez saboter tout cela par un régime imbécile et bavard, qui ne tire parti de rien, qui oublie tout, qui ignore la préparation, la prévision, la compétence, comment demeureriez-vous inerte sans remords ? », p. 384.

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Souvenirs littéraires, Léon Daudet, Le livre de poche, 1974, 571 pages.
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