samedi 20 avril 2013

Péguy de combat, de Rémi Soulié


Une introduction à Péguy qui suit son cheminement spirituel, des premiers pas jusqu'à la fin héroïque autant que bouleversante : mort parfaite du soldat parfait, la mort de front.

« Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s'en font gloire et orgueil. Exactement : le monde de ceux qui n'ont pas de mystique. Et qui s'en vantent. », p. 55.

Le monde de la Culture.

« Le ministère de l'intérieur, la préfecture de police les gardiens de la paix et les gendarmes seront les auxiliaires de la censure journalistique gardienne de l'idéologie dominante, celle-là même que les Grecs auraient jugées barbare... », p.57.

Le monde de ce soir et de demain matin.
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Péguy de combat, Rémi Soulié, Cerf, 2007, 107 pages.

Trames, de Iain M. Banks


La Culture, société galactique hédoniste, tolérante et anarchiste, rappelle la quatrième de couverture. Cette société creuse donc, agite la Voie Lactée depuis L'Usage des Armes, premier volet de la saga,  dans le but de la faire mousser comme un milk-shake sensé nous faire saliver d'envie, jusqu'à l’écœurement. 
La Culture fait-elle envie réellement ? Dans aucun des cinq volumes précédents (à part peut-être Inversion, sans doute le plus fin d'entre-eux), Banks n'a omis de rappeler que dans la Culture, on ne paye rien, on ne doit rien, on est malade de rien sauf de l'ennui, on n'a pas de sexe car on peut choisir celui que l'on veut. Dans la Culture, on ne souffre pas. Dans la Culture un homme vit en moyenne quatre ou cinq cents ans (pourquoi pas deux mille ? Banks ne le dit pas, peut-être a-t-il pris modèle sur cette enquête de compagnie d'assurance, ayant calculé qu'en cas d'immortalité (toutes les maladies sont éradiquées et nos cellules se multiplient à l'infini), l'espérance de vie de l'homme serait d'environ 400 ans, car c'est la probabilité maximum de vie sans accident mortel).

La Culture, c'est un peu ceci : une société collectiviste sans propriété. On n'y travaille pas. On n'y gagne rien. Tout y est acquis. Rien n'appartient à personne. Le citoyen de la Culture ne croit en rien, n'a rien à espérer et aucun «autre» à aimer. Tout est lui-même.
Il est d'ailleurs significatif que l'habitat privilégié de la Culture soit l'orbitale, une «planète» artificielle en forme de bague, (joliment illustrée par Manchu pour Une forme de Guerre, et on regrettera d'ailleurs que l'aérien Manchu ne soit plus aux commandes des couvertures du LdP), les culturiens sont là-dedans comme des hamsters dans leur roues. Ils tournent en rond, sans fin et sans but.

Chaque nouvel opus de la Culture est présenté comme le meilleur de la série. Ce n'est pas le cas ici, Trames (traduction anagrammatique et appauvrissante du titre original Matter) est loin de présenter autant d'intérêt que les précédents, d'abord de par sa longueur (l'action commence à la page 578 !), et ensuite parce que l'auteur n'a jamais autant tourné autour du pot jusqu'à, dans un article faussement démystificateur qui vient compléter bien inutilement le livre, réaffirmer son athéisme, son total désintérêt de toute dimension divine. 

Peut-être que Banks n'a jamais perçu que toute cette oeuvre ne parlait que de ça. Il faut bien dire que la Culture, en la « personne » des mentaux, ces IA à la conscience et à l'intelligence qui dépassent toute conception humaine, sont d'efficaces écrans de fumée. L'idée générale de l'évolution des espèces, selon l'univers de Banks, est que les dieux finissent par apparaître, que les dieux ne sont pas origine mais destination. Les dieux sont parmi nous et les mentaux de la Culture sont comme des dieux.
Pourtant, n'est ce pas dans Excession (1996) qu'un objet, une chose inconnue et incompréhensible, même des IA, apparaît soudain dans l'espace de la Culture ? Quelque chose qu'ils ne peuvent appréhender et par laquelle, immédiatement, ils ont la conviction qu'ils n'auront jamais la capacité de la définir, de la saisir. Quelque chose qui les dépassent. 
  

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Trames, Iain M. Banks, Le livre de poche, 2012, 840 pages.

Le curé de Tours, d'Honoré de Balzac


« L'abbé Birotteau, petit homme court... », commence ainsi Balzac, dans sa description sans pitié de ce curé, qui n'est qu'homme à moitié en cela qu'il ne peut qu'approcher les vertus théologales (foi, espérance, charité), et est totalement incapable des vertus cardinales (prudence, tempérance, force, justice), s'attirant par cette débilité, le mépris nocif de ses ennemis et le mépris complaisant de ses amis.
Un temps soutenu par une société éprise de justice, il sera vite abandonné des bonnes âmes dont les intérêts ne pourront s'accommoder de ce pauvre improductif. Le pauvre sert le politique et jamais l'inverse, et jamais toujours.

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Le curé de Tours suivi de Gobseck l'usurier, Honoré de Balzac, Les Belles Editions, non daté, 189 pages.

mardi 16 avril 2013

Journal d'un curé de campagne, de Georges Bernanos


Tant de richesses et d'émotions dans ce roman, qu'il se lit à petits coups, comme un alcool très fort. Tant de phrases à méditer, tant d'images pour nous poursuivre. Ce curé est une des créatures les plus sensibles de la littérature, une des plus touchantes, une des plus belles.
Bernanos est capable de tout relier de son trait, le bien, le mal, le faible, le fort, tout cela qui est trop pour un seul homme, fut-il magnifique, et qui l'écrase et le tord. Pour tout cela, il faut un homme. On le sent entraîné sur les chemins, roulant entre les existences de ses paroissiens comme une bûche entre le sol et les blocs de grès, croyant pouvoir les diriger, puis ne le croyant plus, croyant n'être pas de taille à orienter ces âmes et exerçant pourtant l'influence du Père.
Croyant ne rien comprendre et n'avoir rien su et percevant au terme de sa vie de prêtre que tout est grâce, que la vérité se dénichent même (et peut-être surtout) dans les êtres qui auront usé jusqu'au péché.

« Je pense aux bêtes misérables qui se traînent jusqu'à leur trou après avoir servi aux jeux cruels des enfants. La curiosité féroce des démons, leur épouvantable sollicitude pour l'homme est tellement plus mystérieuse... Ah ! si nous pouvions voir, avec les yeux de l'Ange, ces créatures mutilées ! », p.111.

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Journal d'un curé de campagne, Georges Bernanos, Plon, 1936, 324 pages.



NB :
S'il est une édition à fuir (à défaut de la pilonner) c'est celle de chez Pocket :
La transcription du texte par un logiciel de reconnaissance de caractères n'a pas été suivie de l'indispensable relecture attentive. Au final, c'est une à deux coquilles par page, quand ce n'est pas deux par phrase !
Parmi les plus belles :

« Pour le$ pauvres gens... », p.72 (vu le sens de la phrase, on peut appeler ça de l'art) ;
«... je dois me tuer de travail pour m'arracher à onjie sait quelle rêverie vague, informe, dont la prfère, hélas ! ne me délivre pas toujours. », p.224

Et quantité de ponctuations égarées, de ç à la place de e, et de majuscules dans les mots, que le plus basique des correcteurs automatiques aurait pu corriger.

Agonie d'agapè, de William Gaddis




«Cette fusion naturelle de la vie produite dans cette création dans l'amour qui le transcende, une célébration de l'amour qui l'a suscité ils appelaient ça agapè, ce festin d'amour aux premiers temps de l'Église, oui. C'est ça qui s'est perdu, qu'on ne trouve pas dans ces produits des arts imitants qui sont conçus pour la reproduction à une très vaste échelle [...] », p. 41.

Voilà, à peu près, l'idée directrice de ce laborieux monologue intérieur d'un artiste sur son lit de mort. Idée directrice guère neuve et servit, en une sorte de mise en abîme, par une écriture nous renvoyant aux sombres pages de l'écriture automatique. Le positivisme et les automates ont brûlé l'essence même de l'art, et Gaddis, par son narrateur à la pensée confuse, le démontre dans le texte et par le texte lui-même. La lecture, de fait, est pénible et on ne s'y accroche bientôt plus que parce qu'il n'y a que quatre-vingt dix pages. C'est un peu court pour s'associer aux éloges véhiculées par les zélateurs d'un écrivain opaque, et on ne peut se retenir d'entrevoir ici le museau jubilatoire et la barbe fleurie d'un Juan Romano Chucalescu.

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Agonie d'agapè, William Gaddis, Le Serpent à plume, 2007, 94 pages.

dimanche 14 avril 2013

Millie, de Howard Fast



La collection de polars Le miroir obscur des éditions Néo a construit pour beaucoup sa renommée sur les couvertures erotico-violentes de Jean Claude Claeys. Le récit d'Howard Fast ne cède pourtant à aucune de ces deux complaisances et la couverture, si elle a pu servir les tableaux de vente de l'éditeur, trahit la finesse et la morale de l'histoire.

Cinq parties empruntant leur titre au livre de la Genèse et des chapitres très courts, un anti-héros à la fois naïf et désabusé et ne comprenant pas grand chose à ce qui lui arrive... jusqu'à ce qu'on lui explique et qu'il se mette à agir, en son âme et conscience. Un personnage qui donne son titre au livre et s'avère plein de surprises (un très beau rebondissement). Une histoire finalement simple, rapidement menée, efficace et confirmant, s'il le fallait encore, qu'il y a de la lumière dans le roman noir.

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Millie, Howard Fast, Néo, 1985, 190 pages.

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