dimanche 23 juin 2019

Fini de lire

Deux ans depuis le dernier billet. Deux ans depuis la naissance de mon fils Olivier. J'ai lu nombre de livres, aucun ne m'aura conté ce que mon épouse et moi subissons depuis la venue de cet enfant.
Olivier est né avec l'une des plus épouvantables maladies au monde, de celles qui vous détruisent définitivement, tout en vous laissant toutes les facultés pour comprendre ce qui vous arrive, ce qui vous attend, et l'absolu inutilité d'entretenir toute forme d'espoir.
Olivier est beau (pour quelques mois encore), et il est intelligent. Mais Olivier est foutu. Bientôt, il commencera à se poser des questions ; il me demandera pourquoi les autres et pourquoi pas lui. Bientôt, il me dira qu'il ne veut pas mourir.

samedi 13 mai 2017

« L'homme métaphysique est par nature réactionnaire. »




« Si tous les orphelins du monde se donnaient la main pour disparaître dans le néant, eh bien cela débarrasserait le plancher. » p. 159.


Paru en 72. Mal reçu. Immédiatement jette au lecteur les fragments d'une pensée farouche, livrée sans les développements propres à limiter le risque d'incompréhension. Nous n'avons rien de plus que des mots pour passer la pensée, et Dominique de Roux, mieux que tout autre, sait la nature corruptible de ces véhicules. Alors fi d'explications, il n'en dira pas plus. Une phrase, quelques lignes, parfois une page, lumineux ou sibyllins, ces fragments dessinent le portrait d'un homme conscient de ce qui n'est plus, décrivant avec une sagacité douloureuse, la perte des repères, la grandeur de l'ancien régime, les petits maos égrenés dans ce qui n'est plus l'art mais désormais la culture, le déploiement irrésistible des mêmes ficelles de pensée sédative à tous les niveaux de notre société.

« Tout le monde aujourd'hui se sent débordé sur sa gauche à chaque instant. C'est une surenchère minable de tous les instants. On ne peut plus parler, on fait du bruit. Les couvercles de piano ont remplacé les pianos. La guillotine pour Robespierre devait au moins mener directement là où se trouvait l'Être suprême. » p. 238

Jadis la crainte de Dieu portait l'homme. On combattait pour le salut, pour le pays, pour la gloire. Aujourd'hui, on lutte pour la matière.

« La matière c'est le capital, mais la matière c'est aussi le marxisme, le socialisme, le maoïsme des grandes massifications. Aucun espoir. D'un côté le boulot, cette éjaculation dans le travail, de l'autre le retour, par le socialisme, du temps où le monde n'était qu'étoiles mouillées, merde et cailloux. » p.212

L'homme semble avoir fait le choix de renoncer à la destinée surnaturelle que Dieu lui offrait de conquérir. Cette liberté prise de renoncer à la grâce conduit à faire le choix exclusif de la matière. Sauf que la matière ne sait et ne peut que contenir, elle enferme sans laisser la moindre ouverture. Y a-t-il plus compact et concentrationnaire qu'un réseau social ?

« Nous sommes les enfants du non-siècle, les enfants de l'incroyance totale. Aussi le problème n'est-il pas celui du Dieu des Possédés, du Dieu de Kirilov "qui le torture toute sa vie", mais de ce temps qui nous est imparti et dont chaque seconde projette le problème de l'absence dans l'obscure splendeur des jours à vivre. » p. 253.

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Immédiatement, Dominique de Roux, La Table Ronde, 1995, 256 pages.

lundi 1 mai 2017

Où est le mystère ?




On retrouve régulièrement chez Clarke le rêve de la matière immuable, la matière inaltérable créée artificiellement par une intelligence (humaine ou autre) et détentrice d'un message crypté réservé à la sagacité de quelques élus. C'est le monolithe de 2001, c'est le vaisseau de Rama, c'est ici la cité de Diaspar.

Cette constante pourrait s'expliquer par l'absence, chez cet auteur, de tout attachement métaphysique : le produit d'une science ingénieuse, au fonctionnement parfait et éternel, vectorise l'immortalité de l'être ; l'objet indestructible détiendrait la formule de la vie éternelle. La trajectoire de l'homme passe par la mise au point d'un véhicule incorruptible et invincible, dans lequel il prendra place pour vaincre la mort.
Au travers de la cité et les astres, Clarke tente de confronter cette vision transhumaniste avec l'hypothèse d'une autre option.
Provoquant l'effarement et la peur de son entourage, Alvin persiste à chercher un ailleurs. La cité de Diaspar est fermée au monde extérieur depuis des millions d'années. Auto-suffisante, elle est constituée d'une matière programmable qui se régénère à l'infini. Cette matière peut se matérialiser sous la forme d'un meuble, d'un met ou d'un homme. Et la population humaine vivant dans ce vase clos est invariable, en nombre comme en forme. L'homme de Diaspar vit quelques siècles, puis retourne dans le programme de l'ordinateur central, pour renaître cinquante ans plus tard, ou cinquante mille ans, avec tous les souvenirs de ses vies passées.
Alvin est différent. Il semble être une création nouvelle. Il n'a pas de souvenirs de vies passées. Plus inquiétant, il a des motivations invraisemblables. Il voudrait quitter Diaspar car il a la conviction que Diaspar n'est pas tout.
La faiblesse de ce récit tient à la volonté de Clarke de tout dévoiler. Il répondra effectivement aux questions d'Alvin aussi bien qu'à celles du lecteur, mais le dénouement, ainsi qu'une morale convenue laisseront, la dernière page tournée, une impression de vacuité, dérivée d'un relativisme ostensible de bout en bout du livre. 

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La cité et les astres, Arthur C. Clarke, Folio SF, 2002, 347 pages.

mardi 18 avril 2017

Quelque chose vient


La mort de Virgile, dit la quatrième de couverture, par sa facture poétique et sa conception symphonique, évoque La Tentation de saint Antoine ou encore Moby Dick, mais c’est aux grands écrivains de l’Antiquité, à l’auteur de L’Enéide lui-même qu’il met en scène, à Platon à la fois philosophe et poète, que l’écrivain allemand a voulu se mesurer.


Ces comparaisons trahissent la difficulté d’interprétation de ce roman exceptionnel, car si Broch n’avait voulu que cela : se mesurer, l’entreprise, toute brillante soit-elle (et elle l’est), paraîtrait tout de même assez dérisoire.


Il n’y a pourtant pas besoin de comparer ce Virgile mourant avec d’autres maîtres ouvrages ; il ne s’agit pas ici de rivalité. 
Plutôt que de chercher à comparer ou à rapprocher, toutes opérations risquées qui procèdent, presque toujours, par une réduction, mieux vaut tenter un conseil. Les commentaires le laissent entendre, La mort de Virgile n’est pas d’un abord des plus faciles. Alors, permettez cette suggestion : lisez au préalable La louve et l’agneau, de Lucien Jerphagnon. 180 pages superbes que vous ne verrez pas passer ; elles vous donneront une clé pour comprendre le mystère que Broch exprime en ces 430 pages denses. Car la mort de Virgile n’est pas qu’une symphonie poétique ni la pensée enfiévrée d’un génie romain. Broch n’a pas choisi Virgile parce que c’était Virgile, mais parce que c’est l’homme le plus sensible de son temps et que ce temps, LE temps, est tout proche. 

«...nous avons beau grandir à tel point que nos bras se ramifient comme des fleuves, que notre corps s’étende sur les terres et les océans jusqu’aux limites du monde, que la lune soit dans notre chevelure, devenus nous-mêmes espace, devenus nous-mêmes la coupole étoilée de la nuit, le dôme rutilant du rêve, infinis, infinis, tout rayonnement ; nous n’en restons pas moins extérieurs à nous-mêmes, nous restons expulsés, aucune nuit ne nous étreindra et aucun matin ne nous embrassera, parce que nous restons cloués sur place, sans fuite et sans but pour notre fuite, sans être rendus à nous-mêmes, parce que nos bras n’ont rien attirés sur notre coeur. », p. 195. 

Virgile dresse là le tragique portrait de l’homme de son temps, voire du plus puissant d’entre eux, Auguste, qui peut tout, cela en tout point de l’univers connu, et qui, cependant, Virgile s’en effraie, reste sans but. Le poète veut brûler son grand oeuvre, l’Enéide. C’est un peu l’intrigue. Du moins, c’est le fil rouge conduisant tout un chacun, de ses amis jusqu’à l’Empereur, à venir à son chevet, pour tenter de l’en dissuader. Mais ce n’est pas le véritable sujet. Nous sommes bien placés pour savoir que l’Eneide a survécu à son auteur. 
Alors que leur manque-t-il à ces Romains ? Quel est ce vide qu’ils ne parviennent à combler ? 

« Infinies, les plaines de Saturne s’étendent à travers le temps, s’étendent immuables à travers tous les temps, mais l’âme est emprisonnée dans le cachot du temps, et au-delà de la surface du temps, dans les profondeurs du ciel et de la terre, repose la connaissance, le but assignée à l’homme. », p. 323. 

La voici, l’erreur romaine. Rien n’est plus élevée que l’intellect. C'est la conclusion à laquelle l’Empire, et donc l’humanité autoproclamée, est arrivée. Mais Virgile le ressent au plus profond de lui-même, cela ne peut suffire à l’homme. L’homme, jamais, ne saurait se satisfaire de lui-même. Voilà pourquoi l’Enéide doit disparaître. L’oeuvre est l’expression même de cette erreur : un sommet que d’aucuns veulent indépassable. Une idole.

Le temps est presque venu. Virgile, l’hypersensible, le perçoit mieux que d’autres. Broch, disions-nous, ne l’a pas choisi par hasard. Il reprend ici le pari médiéval d'un Virgile annonciateur du Verbe.

« Quelque part respirait celui qui accomplirait l’acte, il vivait déjà quelque part, encore à naître, mais déjà respirant ; un jour, la création fut ; un jour, elle serait de nouveau, — affranchi de contingence serait le miracle. Et, au milieu de la lumière livide disparaissante, dans le très lointain lointain, à l’orient, l’étoile se montrait de nouveau. 
Un jour, viendra celui qui recommencera à vivre dans la connaissance ; en son être, le monde sera racheté, et obtiendra la connaissance. », p. 347. 

Nous invitions à entrer dans ce livre par le biais, plus accessible, d’un autre. De la même façon, et parce qu’après la vigoureuse lecture de La mort de Virgile, vous serez rompus à l’exercice, lisez donc, en guise de conclusion, La visite du tribun, de David Jones. Une bien belle boucle sera bouclée.


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La mort de Virgile, Hermann Broch, Gallimard, 2009, 444 pages.



lundi 17 avril 2017

Le début d'un autre





Non, il ne reste personne.

Il est frappant d’observer, à la lecture de cet étonnant récit, que la République française n’est que le nom d’un tissu de lois, dont les fils ne se rattachent qu'à eux-mêmes. Dès lors qu'une force étrangère aura bien étudié la trame de l'ensemble et posé ses crochets là où tout se tient, elle n'aura plus qu'à tirer, pour tout faire disparaître.

Beautrad espérait des consignes venues d’en haut, mais il n’y a plus d’en haut.
La République n’est plus. Il ne reste que la France. Et celle-ci est à reconquérir. 

« La logique interne de la révolution fait qu’on ne peut jamais l’arrêter. L’arrêter est inconcevable, car cela voudrait dire que le pouvoir de l’homme lui-même est limité. », p. 89.

Ce que Baudouin Forjoucq nous a conté là, en quelques 1 500 pages, est par conséquent, bel et bien, la seule fin réaliste d’une révolution française cultivant sa chair nécrosée depuis maintenant 230 ans.

Dans quelques jours, un nouveau Président de la République française sera élu. Peut-être le dernier.


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Le cardinal de l'aube, Baudouin Forjoucq, Editions Sainte-Madeleine, 2015, 497 pages.

La fin d'un monde





« Il y avait en 2004 plus de 7 500 lois en vigueur, plus de 15 000 textes de portée générale, 200 000 règlements et directives, auxquels il convenait d’ajouter pas moins de 80 000 textes européens. Autre exemple : en 1980, le Journal officiel de la République française comptait 7 000 pages dans l’année, en 2000 il en comptait 17 000… 
- Effrayant ! À quoi peut-on attribuer cette inflation ? 
- Au refus d’une référence supérieure, transcendante. À la baisse du sens moral de nos concitoyens et d’une partie de notre classe dirigeante. La négation de la loi naturelle, le rejet du Décalogue, l’inversion du principe de subsidiarité, ainsi que la volonté d’aligner la loi sur les mœurs ont conduit cette classe incapable de se gouverner elle-même, à élaborer des textes sans cesse plus nombreux. Elle réglementait la moindre chose et croyait ainsi compenser son refus de “l’ordre moral”.» p. 350. 

Reprise des hostilités avec ce second volume prédictif de Baudouin Forjoucq. Comment un pays tel que la France peut-il s’effondrer en quelques jours ? A quoi tient finalement, ce qui, pour nombre d’entre nous, paraît plus solide que le roc ? Nous serons bien peu de choses, nous prévient l’auteur.

Ce jeu, Civilisations, Beautrad va se retrouver contraint d’y jouer bientôt, car l’Etat (ce château de cartes) n’existe plus, les communications n’existent plus, les routes n’existent plus. Le jeune lieutenant instaure la loi martiale et parvient à maintenir hors de l’eau le petit territoire montagneux qui lui avait été confié. Mais il doit tout reconstruire. Les lois de la République sont inapplicables, il en faut de nouvelles. Il faut tenir bon et survivre dans la dignité, en attendant les ordres qui ne sauraient tarder. Il reste bien quelqu’un, quelque part, pour décider…

À suivre avec le troisième et dernier volet : Le cardinal de l’aube.


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Le duc de l'apocalypse, Baudouin Forjoucq, Editions Sainte-Madeleine, 2009, 595 pages.





Du présent faisons table rase


«...je ne peux que m’inquiéter terriblement devant le sort à venir de notre pays, où des fous réclament ce fameux Droit-à-la-différence, que je considère comme mortel. On dirait que nos intellectuels ne comprennent pas que le choix est simple : si l’on sème autre chose que le Droit-à-la-ressemblance, on récoltera le Liban ou la Bosnie.», p.260.

Ce droit à la différence imposé partout, distillé partout, morale bidon de tous les récits pour enfants actuels, écrits ou animés ; justification non critiquable de l’action sociale de tout bon électoraliste de notre temps ; filet de sécurité de toute discussion en dérapage.

Nous savons que la France compte des hommes capables d'une vision pour leur pays, parce qu’ils n’ont pas renié ce qui justement a fait notre pays. Mais nous peinons à les trouver, nous désespérons même qu’ils s’identifient un jour. Les tristes sires qui se disputent en ce moment les ergots présidentiels rendent le récit de Baudouin Forjoucq encore plus prémonitoire : il faudra tomber au plus bas pour que la vérité rejaillisse. Il faudra faire table rase du présent pour rendre possible la montée d’un homme providentiel. Tel ce Beautrad, père fondateur qui ne peut naître que de la ruine de tout un pays.

Le récent Soumission de Houellebecq a fait grand bruit, les attentats parisiens de 2015 en étaient la preuve par l’exemple. L’oeuvre publiée en trois parties de Baudouin Forjoucq n’en a fait aucun. Pourtant, là où Houellebecq ne faisait que jeter une conclusion logique au droit à la différence, Forjoucq pousse l’expérience jusqu’au traitement du problème. C’est faire là preuve d’un courage bien militaire. 

À suivre avec le second volet : Le duc de l’apocalypse.

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Vingt et une marches de marbre noir..., Baudouin Forjoucq, Editions Sainte-Madeleine, 2002, 438 pages.
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