samedi 8 mars 2014

Vampires, zombies et autres masticateurs


Michaël Ranft, en 1728, se penche sur un fait divers macabre : l'exhumation et la décapitation d'un certain Plogojovitz, un Hongrois mort depuis peu, accusé par son village d'être un vampire.

L'essai tente de démontrer qu'il n'y nulle diablerie là-dessous, le défunt ayant plutôt été la victime de ce qu'on appellerait aujourd'hui une hallucination collective, née du repentir de l'entourage de Plogojovitz, possible responsable de sa fin.

« Nous avons soupçonné plus haut que Plogojovitz était mort de mort violente. Si le soupçon est fondé, on ne doit pas s'étonner que l'entourage ait eu l'esprit frappé par diverses images. Quoi de plus misérable que l'esprit d'une créature humaine éprouvée par le repentir ? Qui a une fois senti la piqûre du remords de ses crimes, se croit poursuivi par la vengeance et se détourne loin du bon sens. », p.116.

Cette morsure de la conscience revient tourmenter l'homme, nuit après nuit, quand la lumière du jour n'est plus là pour éclipser de son éclat les pensées. C'est l'origine même du mot remords. La morsure qui revient encore et encore. Le vampire est né.

De nos jours, au cinéma, en littérature, le vampire est devenu une créature jolie et habillée sur mesure. Essentiellement visuelle, elle arpente la culture populaire comme un top-modèle son catwalk, pâle et sévère. Le vampire a quitté les tréfonds de l'âme pour gagner le devant de la scène. C'est oublier que l'essence même du vampire, c'est sa victime. Le vampire en soi n'est rien. Les vampires d'aujourd'hui ne sont pas davantage.

Plus intéressant est le zombie. Celui-là nous est contemporain. Le terme est apparu au XIXe siècle, mais l'espèce a surtout fait des petits dans celui qui suivit, et, aujourd'hui, en notre XXIe siècle, il est partout. C'est une pandémie.
Alors qu'il n'y a généralement qu'un vampire, les zombies, eux, sont légion. Le vampire est le tourment d'une âme, tandis que les zombies s'en prennent à la foule. Quand le vampire se satisfait de sang, c'est, pourrait-on dire, l'âme d'un seul homme qu'il recherche. Les zombies, parce qu'ils sont multipliés, parce qu'ils sont une masse inconsciente, un rouleau vorace, les zombies veulent la chair, ils n'ont d'appétit que pour la matière solide. L'individuel ne les intéresse pas, il leur faut une population. Ils ne font aucune distinction entre les êtres, pour eux tous les hommes sont égaux, tous se valent et des goûts et des couleurs ils ne disputeront pas. Ils ne seraient alors plus, comme le fut le vampire, la piqûre du remords d'un seul, mais celle de tous. Et il devient intéressant de se demander : de quel remords populaire sont-ils le fruit ?

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De la mastication des morts dans leurs tombeaux, Michaël Ranft, Editions Jérôme Millon, 1998, 125 pages.

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