dimanche 11 août 2013

En rade, de Huysmans





« Comme elle était avachie ! il est vrai que les hommes se la repassent depuis tant de siècles ! au fait, quoi d'étonnant ? La Vérité n'est-elle pas la grande Roulure de l'esprit, la Traînée de l'âme ? Dieu seul en effet sait si, depuis la genèse, celle-là s'est bruyamment galvaudée avec les premiers venus ! artistes et papes, cambrousiers et rois, tous l'avaient possédée et chacun avait acquis l'assurance qu'il la détenait à soi seul et fournissait, au moindre doute, des arguments sans réplique, des preuves irréfutables, décisives. », p. 196.

Le pauvre Jacques Marles, pour fuir ses créanciers parisiens, s'enfonce dans les terres de Provins avec femme et bagage, et l'idée vague que la campagne leur fera du bien, lui pour se faire oublier, elle pour revigorer une santé difficile. Ils sont plus ou moins accueillis par Antoine et Norine, parents éloignés de Louise, des paysans vivant à l'ombre d'un château en ruine. Chassé de Paris par les ennuis d'argent et la férocité des hommes, Jacques rêvait d'une thébaïde et peut-être aussi, à l'instar d'un Lévine, chez Tolstoï, espérait-il connaître la vie simple et juste du paysan. Sauf qu'ici comme ailleurs, tout se paye, et même un peu plus cher. On les accueille, mais on ne leur offre rien ; le château mis à leur disposition est insalubre et les deux paysans se révèlent aussi bestiaux que filous, dépossédés de la moindre pitié. Nos deux parisiens sont des touristes avant l'heure que les ruraux vont s'ingénier sans finesse à tondre. Jacques et Louise ont fuit les goules de la ville pour les ogres de la campagne.
Le cauchemar commence. Les rêves s'enchaînent.
Quelque chose est absent de la vie de Jacques, quelque chose qu'il ne parvient pas à identifier. Est-ce le confort moderne ? son appartement parisien si douillet et dont il ne peut plus jouir. Est-ce l'amour de sa femme ou le plaisir de l'étreinte ? Louise qu'un mal inconnu lui rend inconnue. Est-ce les stimuli de l'étude ? Jacques commence, mais ne finit jamais rien. Ou bien est-ce ce qu'il entrevoit presque, tandis qu'il explore la chapelle jouxtant le château, qu'il contemple, désolé, un Christ souillé de guano, les restes des petites victimes des rapaces nocturnes éparpillés derrière l'autel ? Le sentiment de ce qui devrait relier tous les hommes et qu'ils ont rejeté, abandonné, oublié. Le château tombe en lèpre, la gloire est déchue. Jacques est avide et vide tout à la fois, comme s'il lui manquait un serment qui put le combler et l'animer enfin. Une présence nécessaire qu'il lui faudrait maintenant nommer.

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En rade, Joris Karl Huysmans, Folio, 1984, 256 pages.

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