vendredi 30 août 2013

Missiles dominici




On retrouve Rem Tolkatchev, le marionnettiste en chef des services secrets russes. C'est un personnage qui sait ce qu'il fait, qui sait pourquoi il agit et qui n'a besoin pour exister de rien d'autre que du succès des opérations qu'il organise. Par cela il est incorruptible et par cela il semble ne plus avoir d'équivalent à l'Ouest ; Ouest personnifié, qu'on le veuille ou non, par notre ami SAS, le bougre étant la parfaite antithèse de l'incorruptibilité. 

Depuis 1965, ses capacités sexuelles sont infatigables, par contre on ne perçoit plus guère de capacités intellectuelles, ni létales, ni finalement morales. Les scènes de cul sont autant d'abîmes dans le récit. SAS est sous l'emprise d'une malédiction qui l'oblige à voir en chaque belle femme, un tonneau des Danaïdes qu'il doit remplir de sa semence. Toute affaire cessante. Quels que soient les enjeux du moment, quels que soient les risques encourus. Il arrête tout, il oublie tout, il n'est même plus là. De nouveau, le pauvre est tombé dans un trou. La réalité des histoires SAS est ainsi percée de trous dans lesquels le héros, d'un comique involontaire, tombe toujours et desquels il remonte tout humide un peu plus tard, à la force de ses petits bras, toujours un brin groggy, toujours se demandant en regardant le ciel : où en étais-je ? 

Les américains qui se prennent les pieds dans le tapis, qui ne savent pas trop où ils vont. Le FBI qui fabrique un terroriste pour s'attribuer ensuite le mérite de son arrestation. Mauvaise idée, bien sûr. Des missiles sol-air Igla S qui disparaissent. La CIA prête à trahir son pays si ça peut faire du tort au FBI. Le prince Malko Linge qui ne sait pas trop ce qu'il fait là-dedans et pointe son pistolet à boules sur tout ce qui peut se poser sur de hauts talons.
Avec de tels patachons, on ne se sent guère en sécurité et cet épisode donnerait bien envie de demander la naturalisation russe.

Au fil des épisodes, se dessine un portrait à charge des Etats-Unis et de ceux qui les suivent, pour reprendre la formule de Chauprade. A mesure que le nihilisme gauchiste (toujours Chauprade) se déploie, dispensant ses adeptes de toute remise en question, l'action politique des membres de l'Otan passe par un jeu paradoxal de lettres de cachet scellées du sceau du bien, et remises au suffrage d'une populace conditionnée par une addiction consumériste à faire ouioui.
Le bien : « Ce qui correspond aux aspirations essentielles de la nature humaine » (définition du TLFI). Jamais ce substantif n'a eu moins de sens qu'aujourd'hui, tant il est manifeste que l'idéologie qui nous accable n'oeuvre pas au nom de la nature humaine (qu'elle ignore), moins encore, par conséquent, pour son essence.

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Igla S, Gérard de Villiers, 2012, 320 pages.

4 commentaires:

  1. « Ouest personnifié, qu'on le veuille ou non, par notre ami SAS, le bougre étant la parfaite antithèse de l'incorruptibilité. »

    Je ne comprends pas cette phrase : vous voulez dire que Malko est l'image même de la corruption ? ce me semble curieux…

    Sinon, avez-vous remarqué que, depuis déjà quelques années, notre prince vieillissant ne pense plus qu'à sodomiser ses conquêtes, choses qu'il ne faisait que très épisodiquement il y a vingt ou trente ans. Fantasme envahissant chez l'auteur ? Je crois pouvoir affirmer que oui…

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    1. Le personnage de Tolkatchev est décrit comme dépourvu du moindre penchant, si ce n'est des cigarettes multicolores qui l'aident dans l'élaboration de ses coups tordus. A côté, Malko est un luxurieux qui se laisse aller invariablement à son vice, au risque de faire capoter (si j'ose dire) sa mission. Ce qui est d'ailleurs parfois bien le cas et la crédibilité s'en ressent. Il a toujours un peu l'air de rattraper les conséquences de ses coïts. Donc oui, dès lors que l'ennemi a repéré son vice, il lui suffit de mettre une belle fille devant SAS pour le corrompre. Ça n'en fait pas un espion très fiable.

      Pour le reste je n'ai encore lu que des épisodes relativement récents, mais la sodomie semble être effectivement un passage obligé, à un point qui en devient grotesque. Ce qui ajoute dans le comique involontaire de la série.

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    2. Ce qui est très fiable, en revanche, c'est le cadre dans lequel il développe ses intrigues, lesquelles ne s'écartent que de fort peu de la réalité politique des pays dans lesquels elles se déploient. La dernière fois que j'ai parlé de cela avec lui, GdV m'a affirmé à deux reprises qu'il n'avait aucune imagination et qu'il se contentait d'insérer son héros dans une réalité à laquelle il ne touchait pratiquement pas. Or, par ses accointances, depuis cinquante ans, avec tous les services d'espionnage et de contre-espionnage de la planète, il est l'une des personnes les plus au fait du "dessous des cartes".

      Pour ce qui est du comique involontaire, je regrette personnellement l'époque déjà lointaine où, SAS se vendant à plus de 500 000 exemplaires par titre, GdV négociait des contrats publicitaires avec des tas de marques, qu'il devait replacer un certain nombre de fois par roman. C'est ainsi qu'à une époque, durant un an ou deux, absolument tout le monde, y compris dans une case au fond de la forêt équatoriale, disposait d'un téléviseur Samsung dernier modèle et se pintait au cognac Gaston-Delagrange…

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    3. Oui, le cadre et les intérêts des protagonistes sont très crédibles et, on le sent, puisés aux meilleures sources. C'est tout l'intérêt de cette série. Quant au placement de marque, j'en parlais dans un autre billet, notamment nos bonnes vieilles Gauloises, fumées par tous les fumeurs de la planète.

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