L'auteur dépeint un univers cynique où
"l'Occident", campé par les agences gouvernementales américaines,
est manipulé par une organisation secrète omnipotente dénommée MOTHER COMPANY,
bras armé des multinationales du pétrole. Cette machination caricaturale permet à Trevanian de laisser libre court à son goût pour les mises en
boîte, ridiculisant au travers de scènes truculentes mais vite répétitives,
la CIA et consorts.
Comme les pays producteurs de pétrole
sont en majorité arabes et que la MOTHER COMPANY travaille avec l'OPEP,
il faut bien évoquer un peu les Arabes. L'auteur flanque donc les Américains
d'un Arabe, en la personne d'un espion stagiaire stupide, dont la seule
mission semble être de bien comprendre les blagues sexuelles du représentant
de la CIA. Des gardiens de chèvres, voilà ce que sont les Arabes et ce qu'ils
seront toujours, nous fait bien comprendre l'auteur.
Le plus gênant dans ce lourd dispositif,
c'est que l'attaque ne vise pas seulement un fantasmatique sentiment de
supériorité des Occidentaux, objectif qui serait déjà douteux, pour ne
pas dire fatigant. Ce que l'auteur a en ligne de mire n'est rien moins
que l'homme occidental en lui-même, le Blanc. Chez Trevanian, le Blanc
est cynique, poltron et intéressé. L'Arabe est un sous-homme, le Noir probablement
moins que ça encore. Ces deux races méritent à peine qu'on en parle. Le
problème, c'est le Blanc. La misanthropie de l'auteur ne trouve son maître
qu'en l'homme "oriental", à condition qu'il soit japonais, et
à condition que ce Japonais n'ait pas été infecté par les humeurs occidentales.
Le seul homme qui tienne est donc le Japonais gardien des valeurs traditionnelles
de son pays. Un homme inflexible, plus flegmatique qu'un Monty Python face
à la douleur, maître du jeu de Go...
Pour exprimer cela, Trevanian donne
vie à un personnage tout en superlatifs, Nicholaï Hel, né d'une Russe et
d'un Allemand et élevé par un Japonais. Hel est super fort en tout, il
a le don des langues, il ne fait pas son âge, il est capable d'entrer en
extase pour se régénérer, il a le don de proximité (un sixième sens
qui lui permet de localiser mentalement tout ce qui l'entoure, surtout
les menaces), il est super souple, il n'a pas peur du noir, ce qui lui
permet d'être le meilleur spéléologue du monde, il est super créatif, il
baise comme un Dieu, il peut tuer un homme avec n'importe quoi, etc. Bref,
ce mec est super. Qui plus est son métier est "juste" : Nicholaï
Hel est un tueur à gage qui n'élimine que des terroristes. C'est évidemment
le meilleur dans sa partie. En fait c'est l'homme le plus dangereux du
monde.
Bon.
Le don des langues est l'un des attributs
du diable et ce héros qui n'aime rien tant que les profondeurs de la Terre,
par son patronyme évocateur, par sa vie de château et son secret, par la
fascination qu'il inspire à ses adversaires, par le pouvoir de nuisance qu'on lui prête, serait presque une incarnation du Prince de ce monde,
n'était cette impression que Trevanian, lui-même spéléo, lui-même reclus des Pyrénées, rêvant d'atteindre
comme son personnage l'état de Shibumi (sorte de détachement parfait), s'est grossièrement livré
à une manière de portrait de l'artiste tel qu'en lui-même espéré. Mais peut-être se prenait-il pour le diable en personne
?
Ce qui sous-tend l'ouvrage c'est un
mépris, un dégoût même, pour le faible (physique ou moral), et pour toute
loi qui prendrait en considération celui-ci. La religion chrétienne est
naturellement et comme toujours une cible de choix.
Reste quelques remarques assez piquantes
sur les travers de la société de consommation, le politiquement correct,
l'antiracisme. Le roman datant de 1979, on ne peut retirer à son
auteur ses talents d'observateur, mais ça ne le rendra pas moins ricanant,
ni plus respectable.
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Shibumi, Trevanian, Gallmeister, 2008, 443 pages.
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