Après cette lecture, l'oeuvre fourmillante de Paul Féval prend un air de mont Saint-Michel, telle une chimère littéraire du glorieux îlot, ici loué d'un essai en forme de testament et de lettre
d'amour adressée au Christ. On imagine Doré reprenant la forme du mont
Saint-Michel en une pyramide humaine de tous les héros de Féval, des plus
humbles, les pieds sur le sable, aux plus valeureux, porteurs de la croix,
la pointe de l'épée dardant les nuages. Tant de récits d'aventures, de
capes et d'épées, autant d'histoires d'honneur et d'amour (les forces qui
définissaient la France de jadis, la France d'avant les ténèbres, c'est
à dire d'avant les Lumières) pour démentir les relativismes enseignés désormais en notre pauvre pays en fin de déchristianisation.
Féval, sans le savoir, était aussi un rempart.
« Là est la misère profonde de notre âge, condamné, selon l'apparence, à de redoutables expiations. Notre âge, amoureux de la terre, a nié le ciel. La nuit s'est faite dans son plein jour ; comme le fauve Esaü, il a vendu son droit d'aînesse pour la satisfaction d'un appétit, et les yeux cloués à la boue de son intérêt périssable, il envie secrètement, mais furieusement, ceux qui tournent en haut leur regard ambitieux de la richesse éternelle. », p. 78.
C'est la cape du mont Saint-Michel qui réchauffe le cœur et protège l'âme de la France, tel un pilier posé sur remous et limon, et
pourtant inflexible, invaincu. Le mont Saint-Michel fut l'unique rempart contre le satané Anglois durant la guerre de Cent Ans, la France n'étant bien souvent restée France que parce
que le Mont tenait bon.
Et c'est l'épée de saint Michel, l'épée de
l'ange, l'épée de Dieu, celle qui tournoie dans la main ferme des héros
de Paul Féval, ces héros de toujours, en lutte pour la justice et contre le mal, à commencer par celui qui vit jour au sein même de la Chrétienté et permit la germination du pire.
« Voilà que nous entrons dans l'ère moderne : reconnaissez le vestibule de son palais. Écoutez l'heure qui sonne du grand effort de Satan, redressé tout à coup sous le talon de la Mère de Dieu, hors de l'Église et jusque dans l'Église. C'est le fameux siècle, le siècle des saints suscités pour combattre ces puissants et cruels ennemis qui s'appelèrent Martin Luther, Calvin, Henri Tudor : l'orgueil, le mensonge, la luxure, la haine, le vol, l'ivrognerie ; les péchés capitaux au complet, réunis et enfin devenus réformateurs, qui ouvrent dès lors toutes grandes les portes de la Révolution, en habillant de mots hypocrites l'obscénité de leurs vices et de leurs crimes. », p.227.
Féval nous conte les héroïques faits
d'armes qui firent les drames et les miracles de la demeure de saint
Michel. Ce sont autant de Lagardère qu'il nous donne à admirer, autant
de sacrifices individuels pour la survie d'un royaume de France attaqué
de toute part. Les infatigables moines bâtisseurs qui toujours reconstruisent
les pans détruits par les calamités naturelles ou les malédictions ennemies,
les soldats défenseurs se battant jusqu'à leur dernier souffle, et puis les félons, les faibles, les lâches... Toutes les
facettes de l'homme se sont reflétées sur ces murailles extrêmes, pour Dieu
ou pour le diable, en un combat qui dura mille ans.
« Le Plantagenêt fit envahir l'abbaye par des estafiers à lui qui mirent tout au pillage et à la profanation. Croix, calices, ornements sacrés disparurent de l'église saccagée ; et comme si le hasard eût voulu parfaire une ressemblance entre cette orgie royale et la grande débauche de 93, les coquins, âmes damnées du Plantagenêt qui accomplirent ces stupides dévastations, portaient déjà un titre républicain : ils s'appelaient des "commissaires". », p. 118.
Aujourd'hui, l'archange a quitté les
lieux. L'homme de foi lorsqu'il s'y égare, s'en retourne rapidement, dégoûté.
Même le diable y est douteux. Dans la rue principale, lieu, jadis, de tant d'affrontements sanglants, les marchands chinois attendent le vacancier. Des crocodiles somnolent à proximité du Mont, dans la commune de Beauvoir. Évidemment c'est un parc, tout est parc de nos jours. Les dragons autrefois vaincus par Michel sont revenus, mais même eux font peine à voir.
« Et nous avons suivi le vol de cette protection surhumaine à travers l'espace et le temps, à Reims pour le baptême de Clovis, à Saint-Pierre de Rome pour le couronnement de Charlemagne, au désert pour le testament de saint Louis, en Lorraine pour la vocation de Jeanne d'Arc, à Notre-Dame de Paris pour l'action de grâces d'Henri le Grand et de la France. Il semble qu'il n'y ait plus besoin de miracles : non pas que ce doive être le repos, le repos n'est pas sur le terre, mais nous pourrons croire un instant que nos prospérités fleurissent d'elles-mêmes ; le germe en est jeté : nous aurons Louis XIV, Condé, Bossuet, Corneille, et nous aurons l'apparence d'unité de foi, jusqu'aux heures prédites où, le comble de la faveur engendrant l'excès de l'ingratitude, l'idée même de Dieu chancellera, chez nous d'abord, puis dans l'univers, las de tous les trônes et de tous les autels.
Alors il ne s'agira plus de la France, mais du monde, dans l'assaut de l'enfer escaladant le ciel, et l'Église, restée seule debout, entendra, fût-ce au fond des catacombes, la voix puissante qui crie Qui est comme Dieu ? », p. 263-4.
_________________Paul Féval, Les merveilles du mont Saint-Michel, Via Romana, 2013, 296 pages.
Vous me donnez bien envie d'acquérir ce livre.
RépondreSupprimerLa Varende a également écrit un "Mont saint-Michel" passionnant. Je vous le recommande.
Ça ne m'étonne pas de vous...
SupprimerA propos de la Varende et du mont Saint-Michel, avez-vous lu la première nouvelle de son Heureux les humbles ? Superbe.
Je l'ai lue. Superbe, en effet. C'est dans ses nouvelles que La Varende est au sommet de son art.
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