De quel côté sommes-nous ? Quel homme pourrait se dire qu'il agit pour le mal ? Comment pourrait-il naturellement faire quelque chose qui appartienne au mal ? de quel droit ? C'est le vertige du libre arbitre qui éreinte Ivan le Terrible dans les Hommes du Tsar du même Volkoff.
«...le réel et la représentation que nous nous en faisions coïncidaient parfaitement : la couleur du nazisme était vraiment le noir le plus profond. Imaginez que je me sois trouvé en présence de nazis charitables, humanitaires, capables... je ne sais pas, moi, de donner une tablette de chocolat à une petite fille affamée : nous aurions été dans de beaux draps ! Heureusement il n'en fut rien : les monstres étaient bien des monstres - et qu'ils pleurassent en faisant de la musique de chambre en famille n'y changeait rien : les païens aussi aiment leurs proches, note l'Ecriture. Un point fixe, donc : le Mal était bien de leur côté. Mais il faut deux points pour tracer une droite, et le Bien était-il immuablement installé dans notre camp ? », p. 26.
Qu'est-ce qui anime le narrateur et juge de cette histoire ? Est-ce la volonté de rendre justice, de confondre le criminel ? Ou bien est-ce l'orgueil d'avoir trouvé la vérité, de pouvoir y accoler son nom ? Plus profondément, Volkoff pose la question : au nom de quelle justice un homme peut-il être juge d'un autre homme ? Si c'est la justice des hommes, elle est par nature faillible et le suspect ici, bien qu'il fabriquât quelques mensonges, semble innocent des crimes qu'on l'accuse. Mais peut-être pas. Que vaut cette intuition qui pousse le juge à s'acharner et à ne pas lâcher une proie qu'il sent malgré tout coupable de quelque chose ? Est-ce le sentiment du bien (le personnel ? le commun ?) ou l'influence du mal qui l'entraîne ? Et si c'est la justice de Dieu, quel homme autre que le Christ pourrait s'en prévaloir ?
Comment concilier le message d'amour chrétien et la condamnation au gibet d'un homme, de son propre frère :
« Je n'avais jamais eu de frère et, pour un instant, j'ai vu un frère en cet homme plus jeune que moi, mais aussi plus éprouvé et plus sali. On ne ressent pas de la sympathie pour un frère, on reconnaît qu'il est... comment dire ? Inévitable.
Alors ? Mon frère ou mon devoir ? Mais il faut être au moins deux pour la fraternité. Mon frère ne m'avouait pas pour tel. Donc, aucune tentation ne m'effleura. », p. 111.
Le signe d'amour n'est pas réciproque et le juge peut se détacher de son suspect, le dénaturer. La vérité pourtant est sise dans le crâne d'un homme qu'il veut condamner pour ne pas perdre la face. L'interrogatoire est une machine et ce qu'elle produit n'est pas le portrait d'un suspect, mais le témoignage de la faiblesse humaine :
« A la sortie de la machine, on trouve une mixture de jus d'interrogateur et de jus d'interrogé : cela s'appelle les aveux. Le public croit que ce sont les aveux du seul interrogé. Erreur. Le cachet s'est retiré du sceau, mais il n'y aurait pas eu d'empreinte s'il n'y avait pas eu de cachet. Et, si l'on pouvait mentalement peser l'interrogateur et l'interrogé à la fin de l'opération, on constaterait qu'ils ont transpiré autant de vérité l'un que l'autre. », p. 197.
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L'interrogatoire, Vladimir Volkoff, Editions de Fallois, 1988, 200 pages.
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