samedi 24 novembre 2012

Le feu follet, de Pierre Drieu la Rochelle


Le voyageur sans billet, ainsi se définit l'acteur principal de ce court roman. Le titre d'acteur étant inapproprié pour ce personnage qui se voit comme un personnage non joueur (pour reprendre un qualificatif propre aux jeux vidéo), un homme qui ne trouve en lui-même aucun accès au monde, aucune interaction possible entre lui et un réel qui s'apparente à un billard hanté. Il voyage sans billet et de fait, son moyen de locomotion privilégié est le taxi pour lequel le seul titre de transport est un billet, mais un billet de banque. Alain flambe l'argent qu'il n'a pas gagné, l'argent que ses maîtresses lui remettent. Il ne peut pas thésauriser car il n'a pas d'avenir. Il paie sa course au double de son prix, il n'attend pas la monnaie, il ne veut pas de monnaie. Il traverse la ville en taxi, passe d'un point à l'autre sans conscience de la ligne qui relie ses points, le monde n'a pas de réalité physique. Il n'espère rien. Il ne fait rien. Alain est une dégressivité de plus après l'état d'Huguenau dans les Somnambules de Broch : l'homme sans Dieu et désormais sans lui-même.

« Je ne connais que moi. La vie, c'est moi. Après ça, c'est la mort. Moi, ce n'est rien ; et la mort, c'est deux fois rien. », p.127.

Pourtant subsistait peut-être quelque chose en cet homme. Un souvenir de volonté ou d'un désir de volonté. Moment saisissant du récit où le "héros" trouve soudain, par la reprise d'un travail d'écriture à peine ébauché, une possibilité de vivre. L'on se dit, on espère, que c'est là un prélude et que la suite nous contera le lent travail d'ordonnancement du monde, cette construction que tout un chacun doit entreprendre pour tenir sa propre vie, et qu'Alain, lui, ferait par le biais de l'écriture. Mais non. La nuit passe, au matin c'est fini. Ne reste que le sentiment de ce qui aurait peut-être pu être s'il y avait eu quelqu'un. Il n'y personne. 

« Il y avait dans cet homme perdu un ancien désir d'exceller dans une certaine région de la vie, que l'applaudissement aurait pu redresser... », p.97.

Il ne va pas d'un endroit à l'autre, il se transfère, toujours par le moyen du taxi fugitif, toujours à disposition, quelle que soit l'heure car il n'y a pas d'heure. Il apparaît dans les lieux comme une flamme. N'a-t-il pas l'intuition que le temps n'existe pas ? Il ne saurait le dire. Il cherche l'action, non pas pour agir mais pour observer l'action, essayer d'en comprendre un bout et peut-être tenter de s'y rattacher.
Que peuvent les gens qui l'entourent, les gens qu'il approche, ceux des bars ou des salons, de classes diverses mais somme toute uniformes ? Ceux avec qui il se drogue, avec qui il boit, les femmes avec qui il copule et qui l'entretiennent ? Sous couvert de lui demander de rester auprès d'eux et de lui dire qu'il est beau, qu'il leur plaît, qu'ils l'aiment, ils ne font que lui dire adieu déjà.

« Il sentait dans ce garçon, pour le moment poli et gentil, toutes les forces dangereuses qui rôdent à travers la vie et la société... », p.41.


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Pierre Drieu la Rochelle, Le feu follet, suivi de Adieu à Gonzague, Gallimard, juillet 1972, 185 pages.


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