« Si tous les orphelins du monde se donnaient la main pour disparaître dans le néant, eh bien cela débarrasserait le plancher. » p. 159.
Paru en 72. Mal reçu. Immédiatement jette au lecteur les fragments d'une pensée farouche, livrée sans les développements propres à limiter le risque d'incompréhension. Nous n'avons rien de plus que des mots pour passer la pensée, et Dominique de Roux, mieux que tout autre, sait la nature corruptible de ces véhicules. Alors fi d'explications, il n'en dira pas plus. Une phrase, quelques lignes, parfois une page, lumineux ou sibyllins, ces fragments dessinent le portrait d'un homme conscient de ce qui n'est plus, décrivant avec une sagacité douloureuse, la perte des repères, la grandeur de l'ancien régime, les petits maos égrenés dans ce qui n'est plus l'art mais désormais la culture, le déploiement irrésistible des mêmes ficelles de pensée sédative à tous les niveaux de notre société.
« Tout le monde aujourd'hui se sent débordé sur sa gauche à chaque instant. C'est une surenchère minable de tous les instants. On ne peut plus parler, on fait du bruit. Les couvercles de piano ont remplacé les pianos. La guillotine pour Robespierre devait au moins mener directement là où se trouvait l'Être suprême. » p. 238
Jadis la crainte de Dieu portait l'homme. On combattait pour le salut, pour le pays, pour la gloire. Aujourd'hui, on lutte pour la matière.
« La matière c'est le capital, mais la matière c'est aussi le marxisme, le socialisme, le maoïsme des grandes massifications. Aucun espoir. D'un côté le boulot, cette éjaculation dans le travail, de l'autre le retour, par le socialisme, du temps où le monde n'était qu'étoiles mouillées, merde et cailloux. » p.212
L'homme semble avoir fait le choix de renoncer à la destinée surnaturelle que Dieu lui offrait de conquérir. Cette liberté prise de renoncer à la grâce conduit à faire le choix exclusif de la matière. Sauf que la matière ne sait et ne peut que contenir, elle enferme sans laisser la moindre ouverture. Y a-t-il plus compact et concentrationnaire qu'un réseau social ?
« Nous sommes les enfants du non-siècle, les enfants de l'incroyance totale. Aussi le problème n'est-il pas celui du Dieu des Possédés, du Dieu de Kirilov "qui le torture toute sa vie", mais de ce temps qui nous est imparti et dont chaque seconde projette le problème de l'absence dans l'obscure splendeur des jours à vivre. » p. 253.
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Immédiatement, Dominique de Roux, La Table Ronde, 1995, 256 pages.
Un de mes amis disait même : l'homme est par nature fasciste.
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